Une déclaration commune de la Chine et la Russie à l’issue de la visite de Vladimir Poutine entre le 16 et 17 mai 2024 nous apprend que la relation entre les deux pays s’intensifie et s’approfondit bien au-delà que nous l’imaginions.
Une bonne leçon politique et géopolitique pour l’occident dit collectif. Il parait urgent pour la France de prendre ses responsabilités afin de retrouver cette posture d’équilibre entre les blocs dont les politiciens parlent tant, mais qu’ils ne sont pas capables de mettre en œuvre.
Déclaration commune
Construire un nouvel ordre mondial
La déclaration indique qu’il s’agit d’un « facteur objectif » que « le statut et la force des principaux pays et régions émergents du “Sud global” [augmentent] continuellement », et que « la tendance à la multipolarité mondiale [s’accélère] ». Cette tendance « accélère la redistribution du potentiel de développement, des ressources et des opportunités dans un sens favorable aux marchés émergents et aux pays en développement, promouvant la démocratisation des relations internationales et l’équité et la justice internationales ».
Ils soulignent que « les pays qui adhèrent à l’hégémonisme et à la politique de puissance vont à l’encontre de cette tendance et tentent de remplacer et de subvertir l’ordre international fondé sur le droit international par un soi-disant “ordre fondé sur des règles” ».
Sur le plan de la sécurité, la déclaration indique que « les deux parties sont convaincues que le sort des peuples de tous les pays est lié et qu’aucun pays ne devrait rechercher sa propre sécurité aux dépens de celle des autres ». Les deux parties se disent préoccupées par les défis actuels en matière de sécurité internationale et régionale et soulignent que dans le contexte géopolitique actuel, il est nécessaire d’étudier la mise en place d’un système de sécurité durable dans l’espace eurasien, fondé sur le principe d’une sécurité égale et indivisible ».
Ils ajoutent que la Chine et la Russie « exploiteront pleinement le potentiel des relations bilatérales » afin de « promouvoir la réalisation d’un monde multipolaire égal et ordonné et la démocratisation des relations internationales, et de rassembler les forces pour construire un monde multipolaire juste et raisonnable ».
En ce qui concerne la vision de cet ordre mondial, ces deux principes semblent être les plus fondamentaux :
- Un ordre sans « néocolonialisme ni hégémonisme » d’aucune sorte : « Tous les pays ont le droit de choisir indépendamment leurs modèles de développement et leurs systèmes politiques, économiques et sociaux sur la base de leurs conditions nationales et de la volonté de leurs peuples, de s’opposer à l’ingérence dans les affaires intérieures des pays souverains, de s’opposer aux sanctions unilatérales et à la “juridiction du bras long ou encore de l’extraterritorialité” sans base de droit international ni autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies, et de s’opposer à l’établissement de lignes idéologiques ». Les deux parties ont souligné que le néocolonialisme et l’hégémonisme sont totalement contraires à la tendance actuelle et ont appelé à un dialogue égal, au développement de partenariats et à la promotion des échanges et de l’apprentissage mutuel entre les civilisations ».
- Un ordre fondé sur la Charte des Nations Unies : « Les deux parties continueront à défendre fermement les acquis de la Seconde Guerre mondiale et l’ordre mondial d’après-guerre établi par la Charte des Nations Unies ».
Condamnation extrêmement forte des États-Unis
Cette condamnation commence par le paragraphe souligné ci-dessus selon lequel « les pays qui adhèrent à l’hégémonisme et à la politique de puissance sont contraires [à la tendance vers un ordre mondial multipolaire] », et la déclaration condamne également le fait que ces « pays » (c’est-à-dire principalement les États-Unis) « tentent de remplacer et de subvertir l’ordre international fondé sur le droit international par un soi-disant “ordre fondé sur des règles” ».
Ils écrivent également que « les deux parties appellent les pays et organisations concernés à cesser d’adopter des politiques de confrontation et de s’ingérer dans les affaires intérieures d’autres pays, de saper l’architecture de sécurité existante, de créer des “petites cours avec de hautes clôtures” entre les pays, de provoquer des tensions régionales et de plaider en faveur d’une confrontation entre les camps ».
Ils ajoutent que « les deux parties s’opposent aux actions hégémoniques des États-Unis visant à modifier l’équilibre des pouvoirs dans la région de l’Asie du Nord-Est en étendant leur présence militaire et en formant des blocs militaires. Les États-Unis, avec leur mentalité de la guerre froide et leur modèle de confrontation dans un camp, placent la sécurité d’un « petit groupe » au-dessus de la sécurité et de la stabilité régionales, mettant en danger la sécurité de tous les pays de la région. Les États-Unis devraient cesser de telles actions.
En outre, la déclaration fait état de « sérieuses préoccupations concernant les tentatives des États-Unis de saper la stabilité stratégique afin de maintenir leur supériorité militaire absolue, y compris la construction d’un système mondial de défense antimissile et le déploiement de systèmes de défense antimissile dans le monde et dans l’espace, le renforcement de la capacité à neutraliser les actions militaires de l’adversaire avec des armes non nucléaires de précision et des frappes de “décapitation” », renforcer les accords de « partage nucléaire » de l’OTAN en Europe et fournir une « dissuasion élargie » à des alliés spécifiques, construire des infrastructures en Australie, membre du traité sur la zone dénucléarisée du Pacifique Sud, qui pourraient être utilisées pour soutenir les forces nucléaires des États-Unis et du Royaume-Uni, engager une coopération entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie en matière de sous-marins nucléaires, et mettre en œuvre des plans de déploiement et de fourniture de missiles terrestres de portée intermédiaire et de courte portée aux alliés de l’Asie-Pacifique et de l’Europe ».
La déclaration condamne également « la politique de double endiguement hostile et non constructive des États-Unis à l’égard de la Chine et de la Russie » : « Les actions des États-Unis, qui mènent des exercices conjoints avec leurs alliés visant ostensiblement la Chine et la Russie et prennent des mesures pour déployer des missiles terrestres à portée intermédiaire dans la région Asie-Pacifique, ont suscité de vives inquiétudes de part et d’autre. Les États-Unis affirment qu’ils poursuivront ces pratiques dans le but ultime d’établir des déploiements de missiles de routine dans le monde entier. Les deux parties condamnent fermement ces actions, qui sont extrêmement déstabilisantes pour la région et constituent une menace directe pour la sécurité de la Chine et de la Russie, et renforceront la coordination et la coopération pour répondre à la politique de « double endiguement » hostile et non constructive des États-Unis à l’égard de la Chine et de la Russie ».
En ce qui concerne l’Asie-Pacifique en particulier, ils écrivent que « les deux parties s’opposent à la création de structures de groupes exclusifs et fermés dans la région Asie-Pacifique, en particulier d’alliances militaires visant une tierce partie. Les deux parties soulignent que la « stratégie indo-pacifique » des États-Unis et les tentatives de l’OTAN de mener des actions destructrices dans la région Asie-Pacifique ont des répercussions négatives sur la paix et la stabilité de la région.
Ils exigent également que les États-Unis s’abstiennent de s’engager dans des activités militaires biologiques qui menacent la sécurité d’autres pays et régions et s’opposent à l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique pour des affrontements armés ainsi qu’à la mise en œuvre de politiques et d’activités de sécurité visant à obtenir un avantage militaire et à définir l’espace extra-atmosphérique comme un « domaine de combat ».
Enfin, la déclaration condamne « les actions dissuasives des États-Unis et de leurs alliés dans le domaine militaire, qui provoquent une confrontation avec la République populaire démocratique de Corée et exacerbent les tensions dans la péninsule coréenne, pouvant conduire à un conflit armé », et demande que « les États-Unis et l’OTAN, en tant que parties responsables de l’invasion et de l’occupation de l’Afghanistan pendant 20 ans, ne devraient pas tenter de déployer à nouveau des installations militaires en Afghanistan et dans les régions avoisinantes, mais devraient assumer la responsabilité principale des difficultés économiques et de subsistance actuelles de l’Afghanistan, supporter les principaux coûts de la reconstruction de l’Afghanistan et prendre toutes les mesures nécessaires pour débloquer les avoirs nationaux de l’Afghanistan ».
Expansion considérable de la collaboration entre la Chine et la Russie
Ce sera mon dernier point, la déclaration contient une liste immense – des dizaines et des dizaines de points – de domaines de coopération élargis entre les deux pays.
Voici quelques-unes des plus importantes :
- Coopération militaire : « [les deux parties] approfondiront la confiance mutuelle et la coopération militaires, élargiront l’ampleur des activités de formation conjointes, organiseront régulièrement des patrouilles maritimes et aériennes conjointes, renforceront la coordination et la coopération dans les cadres bilatéraux et multilatéraux, et amélioreront continuellement la capacité et le niveau de réponse conjointe aux risques et aux défis.
- Plus d’échanges commerciaux, des investissements mutuels et une aide réciproque au développement économique : Développer continuellement l’ampleur du commerce bilatéral, améliorer continuellement le niveau de coopération en matière d’investissement entre les deux pays et développer conjointement des industries de pointe, renforcer la coopération technique et de production, notamment dans l’industrie de l’aviation civile, l’industrie de la construction navale, l’industrie de la construction automobile, l’industrie de la fabrication d’équipements, l’industrie électronique, l’industrie métallurgique, l’industrie de l’extraction du minerai de fer, l’industrie chimique et l’industrie forestière.
- Coopération dans le domaine de l’énergie : consolider la coopération stratégique dans le domaine de l’énergie entre la Chine et la Russie et parvenir à un développement de haut niveau, en garantissant la sécurité économique et énergétique des deux pays. S’efforcer de garantir la stabilité et la durabilité du marché international de l’énergie, et maintenir la stabilité et la résilience de la chaîne industrielle et de la chaîne d’approvisionnement mondiales en énergie. Également l’énergie nucléaire : approfondir la coopération dans le domaine de l’énergie nucléaire civile sur la base de l’expérience des projets réussis et en cours, y compris la fusion thermonucléaire, les réacteurs à neutrons rapides et les cycles fermés du combustible nucléaire.
- Promouvoir les monnaies et les infrastructures financières de chacun : Augmenter la proportion de monnaie locale dans le commerce bilatéral, le financement et d’autres activités économiques. Améliorer l’infrastructure financière des deux pays, faciliter les canaux de règlement entre les entités commerciales des deux pays, renforcer la coopération en matière de réglementation dans les secteurs de la banque et de l’assurance de la Chine et de la Russie, promouvoir le développement sain des banques et des institutions d’assurance établies dans les deux pays, encourager les investissements bilatéraux et émettre des obligations sur les marchés financiers des deux pays conformément aux principes du marché.
- Une coopération approfondie dans les domaines de l’éducation et de la science : promouvoir l’expansion et l’amélioration de la qualité des programmes mutuels d’études à l’étranger, faire progresser l’enseignement de la langue chinoise en Russie et l’enseignement de la langue russe en Chine, encourager les établissements d’enseignement à développer les échanges et la coopération dans la gestion des écoles, mener des formations conjointes et des recherches scientifiques sur les talents de haut niveau, soutenir la coopération dans les domaines de la recherche fondamentale entre les universités, soutenir les activités des alliances d’universités et de lycées similaires, et approfondir la coopération en matière d’enseignement professionnel et numérique.
- Coopération dans les médias et formation de l’opinion publique : Renforcer les échanges entre les médias des deux pays, promouvoir les visites mutuelles à différents niveaux, soutenir les dialogues pragmatiques et professionnels, mener activement une coopération de haute qualité en matière de contenu, explorer en profondeur le potentiel de coopération des nouveaux médias et des nouvelles technologies dans le domaine des médias de masse, rendre compte de manière objective et complète des principaux événements mondiaux et diffuser des informations véridiques dans le domaine de l’opinion publique internationale.
- Coopération au sein des institutions mondiales : Approfondir la coopération bilatérale à l’Assemblée générale et au Conseil de sécurité des Nations unies, soutenir le rôle de l’Organisation mondiale de la santé, renforcer la coopération dans le cadre de l’OMC, coopérer dans le cadre de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), maintenir l’esprit des BRICS, renforcer la voix du mécanisme des BRICS dans les affaires et l’agenda internationaux, etc.
L’ampleur de la coopération qu’ils décrivent est absolument stupéfiante, les deux pays s’engagent à fond l’un dans l’autre.
Cette déclaration est absolument extraordinaire et va probablement façonner le monde pour les décennies à venir. La Russie et la Chine déclarent explicitement qu’elles s’associent pour créer un nouveau monde multipolaire égal et ordonné et pour démocratiser les relations internationales, et pour mettre un terme au comportement hégémonique des États-Unis. Plus besoin de faire semblant, c’est en train de se produire.
Source : Twitter – Arnaud Bertrand